“Comedy is a man in trouble. And without it, there’s no humor.” (Jerry Lewis)
Autour des sempiternels lieux communs ressassés lors de la disparition d’une célébrité, la mort de Jerry Lewis le 20 août dernier aura été l’heureuse occasion de remettre en lumière l’existence de Le jour où le clown pleura, l’œuvre damnée du comédien-réalisateur.
Petit veinard que je suis ! Il s’avère que j’ai eu le privilège d’assister une journée durant au tournage du film, définitivement jugé comme le plus improbable de l’histoire du cinéma, y compris par son réalisateur. Qui, au bord du déni, accepte cependant que l’œuvre sorte… mais pas avant 2025 ! Car il estime que le film, tourné en 1972 à Paris (pour la partie cirque) et Stockholm (pour le reste), est un ratage. Lui emboitant le pas, les quelques rares privilégiés qui ont pu voir Le Jour Où le Clown Pleura ont été très réservés quant au résultat final. Il n’est pourtant pas interdit de penser qu’en fait l’œuvre – qui n’a jamais pu être achevée – ait subi les contrecoups de l’indélicatesse d’un producteur peu pressé de financer au fur et à mesure des exigences du tournage. Au point que Lewis comble les besoins de ses propres deniers et que, par solidarité, les acteurs français refuseront d’être payés. Mais, selon moi, il ne s’agit pas uniquement d’une histoire de gros sous…
Le synopsis, d’une atrocité psychologique inouïe, est une source infinie de possibilités pour un acteur comme Lewis, capable de jouer dans tous les registres, bien que cantonné dans un style plus proche du burlesque que de celui de la tragédie. Or le sujet est une véritable tragédie. C’est l’histoire d’un clown, Helmut Dook, déporté en camp de concentration pour s’être laissé aller un soir de cuite à caricaturer le Führer. Ce qui était loin d’être politiquement correct dans l’Allemagne nazie. Dans le camp, il refuse de se grimer pour alléger le quotidien de ses compagnons qui, dès lors, lui mènent la vie dure. En revanche, apercevant un groupe d’enfants, il reprend son accoutrement avec des matériaux de fortune. Dans un premier temps, les nazis du camp ne voient pas la proposition d’un bon œil. Mais, après machiavélique réflexion, ils avalisent l’idée. Alors, faisant le pitre, Helmut accompagne les enfants vers la chambre à gaz. Tous derrière et lui devant. Il les regarde franchir un par un l’effrayant seuil. Et décide de les rejoindre.
Pour Lewis, juif par origines, bouffon par destinée et réalisateur par inclinaison, il y avait de quoi faire. L’intensité dramaturgique était bel et bien là. Écrasante. Si l’on ajoute sa force d’empathie, Le Jour Où Le Clown Pleura aurait dû n’être qu’une formalité. Mais tourner un sujet pareil ne se fait pas lorsque l’on a vingt-cinq ans. Il faut de la maturité, donc laisser le projet murir sereinement. Et c’est à 47 ans que Lewis entame le tournage. C’est à ce moment que j’ai pu le voir. Je m’étais passionné pour le bonhomme. “Les Cahiers du Cinéma” et “Positif” m’avaient définitivement convaincu qu’il n’était pas un simple gagman. Puis il y aura surtout Robert Benayoun dont le livre Bonjour Monsieur Lewis était sur le point de sortir. Un pavé de 388 pages, édité chez Éric Losfeld, éditeur français, (le plus grand ?), vendu la modique somme de 36 francs à l’époque.
C’était donc par un après-midi de mars 1972. Je venais tout juste d’avoir vingt ans. Lui et moi aurions pu fêter nos anniversaires ensemble puisque nés tous deux un 16 mars. Une festivité inenvisageable en raison de nos situations respectives : lui, réalisateur à la tête du navire et moi, simple admirateur exceptionnellement toléré. De toute façon, je respecte trop les personnes de ce calibre pour les importuner avec un souhait aussi saugrenu qu’improbable. Seul Rupert Pupkin (Robert De Niro) aurait pu le suggérer à Jerry Langford (Jerry Lewis) dans le film La valse des Pantins (Martin Scorsese) !
Lieu : le Cirque d’hiver (Bouglione). Là même où Carol Reed a tourné Trapèze en 1955 avec Burt Lancaster, Gina Lollobrigida et Tony Curtis. Était-ce l’effet de l’attention et de la charge qui pesaient sur lui, toujours est-il que l’état physique de Lewis m’a frappé. Il était émacié, soucieux, accablé. On était loin du personnage désopilant qu’il avait incarné et fait devenir une véritable coqueluche dans l’hexagone : qui dans ce pays, n’avait pas vu le dimanche en famille dans un cinéma de quartier, au moins un film avec Jerry Lewis ? Qui n’avait pas revu les mêmes films diffusés de manière récurrentes sur les fenestrons le dimanche après-midi ?
Ce jour-là pourtant, grimé en clown blanc, il semblait encore plus triste. Abattu. Découragé. Presque dépressif. Plus tard, j’ai appris que les soucis financiers dus aux carences de la production étaient la cause de cette condition. Auparavant, il y a eu cet infarctus et ces deux vertèbres cassées lors d’une mauvaise chute pour une cascade ratée. Les violents antidouleurs pris en doses massives le poussèrent même à songer au suicide… A ce triste bilan, s’ajoutent les 17 kilos perdus pour les besoins de son film.
Jerry Lewis est à la caméra placée dans les premiers rangs des gradins, l’objectif tourné vers l’entrée de la piste où j’ai cru entrevoir Serge Gainsbourg…
Assis sur un fauteuil d’orchestre, juste à côté du réalisateur, Pierre Etaix alors sur le point de créer l’école du cirque. Les deux se sont rencontrés à Paris par l‘intermédiaire de Robert Benayoun sur le tournage de Boeing Boeing. Roger Trapp, un des acteurs fétiches d’Etaix, écoute les indications précises de Lewis pour une scène. Et c’est là que tout réside. Dans le regard de Lewis. Dans cette compassion pour ses acteurs. Dans cette façon de leur parler. Jamais un mot plus haut que l’autre. Un respect total et mutuel. Mister Trapp, voudriez-vous vous mettre là, puis là et repasser par-là s’il vous plait. Et Trapp de bouger exactement comme le veut Lewis. L’entente et la complicité entre ces gens-là sont réelles et sincères. Ce ne sont pas uniquement des professionnels différents qui sont en présence mais des alter ego. Pas un soupçon de ces minauderies dont le show-biz fait grande consommation …
Alors, tout ça m’a fait prendre un sérieux pari sur l’avenir, car j’ai toujours défendu ce film et son réalisateur. Me fiant uniquement à ce que j’ai pu observer ce jour-là, j’ai toujours cru en sa réhabilitation quand il sera enfin projeté au grand public. Car, autant d’humanisme et une telle histoire ne peuvent accoucher d’un fiasco. Nul doute que Le Jour où Le Clown Pleura est à minima un grand film. Et peut être même, qui sait, tout bonnement un chef d’œuvre ?
Ouèche.
Professor BeeB HôPô
Salut Beeb !
Je viens de lire ton article sur Jerry Lewis, les larmes aux yeux…
Tu écris bien, c’est difficile de faire passer ses émotions.
Catherine
Cher Beeb,
Voilà un récit bien émouvant, loin des Beebocomikrock habituels et tout aussi attrayant. C’est le jour de son décès que j’ai appris que Jerry Lewis (et non le pianiste) était juif. Je comprends qu’il soit investit dans ce film. J’ai toujours apprécié cet acteur. Enfant je ne l’aurais loupé pour rien au monde à la télévision, dans mon petit village loin de tout cinéma. Je suis allé au cinéma à 18 ans à l’armée pour la première fois, je me souviens du film.
Merci encore Prézidan de nous avoir relater ce moment un peu exceptionnel.
Seul un veinard comme toi pouvait écrire un tel article sur Jerry Lewis, l’acteur qui m’a fait aimer le cinéma dans les années 50. On attend vite la suite avec la diffusion de ce film. Merci Prof
Je suis complètement bouleversée ! Je savais que ce grand artiste avait plus d’une corde à son arc mais c’est la première fois que je le vois dans un tel rôle. Merci à toi de me l’avoir fait découvrir. Un grand monsieur ce Jerry.
J’avoue connaître très mal Jerry Lewis et avoir appris un peu sur cet homme dont je n’étais pas fan car ignorante ! !!
Félicitations Mr BeeB je suis sérieuse j’ai même ajouté 2 mots qui bougent sur FB sinon je suis sincère.
Merci pour tes belles histoires BeeB.J’adore les conteurs qui nous apprennent toujours quelque chose.
Lewis la grande classe !
Merci BeeB,
j’Adore Jerry Lewis… et d’ailleurs je n’ai vu passer qu’assez peu de “RIP” sur FB, comparé à d’autres…
My favorite dish : Dr Jekyll et Mr Love mais tant d’autres choses aussi, la pantomime et des souvenirs d’enfance….
En modèle court, celui-ci est tout à fait excellent …
https://www.youtube.com/watch?v=Q4v8UdkTx30
La machine à écrire oui je suis allé voir du coup, je m’en souviens…
Quant à ton article, super…!
Ça a l’air bien chargé comme film, ça m’a fait penser à celui de Roberto Begnini (e bella la vita…)
Excellent article sur le plus doué des rebelles au show biz ricain !
Comment décrire une forte émotion ? C’est le challenge que doit surmonter tout artiste devant une page, ou une toile, blanche. Quels mots pour écrire une phrase ? Pour remplir une page alors que le cœur bat plus rapidement et que les sentiments s’entremêlent et nous chahutent ?
Bravo pour cet exploit et merci de nous faire partager un souvenir devenu depuis éprouvant et empli de tristesse; et peut être de regret. Il ne nous reste plus que les génies, et artistes maudits, pour nous aider à supporter le quotidien.
Prends ton temps et fouille bien dans ton cerveau pour nous faire partager encore de grands souvenirs.
Courage and keep on rockin’!!!!
Philippe M.
Je ne peux qu’approuver ton commentaire, et d’ailleurs la citation en exergue de la note te le confirmera.
Mais dans ce cas, on est au comble du malheur.
C’est d’ailleurs pourquoi, j’ai eu un mal fou à écrire cet article. Pour tout dire, je n’ai jamais eu autant de mal à trouver les mots d’une note, tellement ce fut douloureux de rédiger en pensant à ces moutards suivant ce clown vers la chambre à gaz. Et en pensant aussi à Lewis acteur, metteur en scène de ce film trop vite enterré.
Keep On Boppin’
Réponse 1er Mogane 11h
J’ai toujours pensé que pour être un clown il fallait avoir beaucoup souffert et, très jeune, je n’ai jamais ri des acrobaties des clowns. A l’exception de Buster Keaton, le Maître des Maîtres, jamais un Charlie Chaplin, ou Laurel & Hardy, ou autre, m’a fait éclater de rire. Je crois que j’avais trop de compassion et ne pouvais apprécier leur Art que lorsqu’ils abandonnaient les “clowneries”, comme dans “Modern Times”, le chef d’oeuvre : “The Dictator”, “The Kid”, “City Lights”,….. Et ce film me semble être dans cette lignée. Pure poésie où la tristesse se mêle au rire. En définitif, la vie!!! Je crois que Jerry Lewis ne fut pas prophète en son pays car il était le reflet de leur médiocrité.
Il faut beaucoup de talent, de sensibilité et de générosité pour faire rire le monde,. Enfant bien sûr j’adorais les clowns etJerry avait une place d’honneur dans mon petit coeur; c’est qu’il swinguait bien en plus le gars, il avait tout pour me plaire !
Quelle belle histoire prof, ça d’est du beau souvenir ; Joli partage, merci !
Quelle chance ! J’ai rêvé toute ma vie de le croiser au moins une fois … Fan depuis l’enfance et déjà pour des raisons d’adulte, je partage en tous points ton analyse et je l’ai lue avec ravissement. Les quelques personnes qui ont vu le film dans son entier en parlant comme d’un film magnifique.
Je crois que j’ai tout lu et vu de lui et sur lui depuis 50 ans environ. Alors, il ne m’intéresse pas, il me PASSIONNE. Frappée en fin de compte par son SÉRIEUX, lui à qui on reproche de ne savoir faire que des grimaces !!! Merci à toi !
En effet, la grande Classe!
Faut pas t’inquiéter, tu n’es, hélas, pas seul(e). Mais ce type était foutrement humain, doté d’un tel volume d’empathie qu’il aurait pu solder 365/365. Et en plus, il savait TOUT faire : danser, chanter, grimacer, imaginer, jouer, acter, réaliser etc …….. Je te laisse regarder cette vidéo et voir comment il bouge. Tu m’en diras des nouvelles !
https://youtu.be/KkGTwmJxHA0
Et merci
A tomber de cul par terre ,decidement tu nous reserve toujours une bonne surprise !
Et bien là….. en 10 minutes…. le temps que j’lise à mon aise, tu m’as TOTALEMENT réconcilié avec Lewis, que je n’pouvais pas supporter!!!!
Merci Beeb!!
@Anne-Marie
Faut pas t’inquiéter, tu n’es, hélas, pas seul(e). Mais ce type était foutrement humain, doté d’un tel volume d’empathie qu’il aurait pu solder 365/365. Et en plus, il savait TOUT faire : danser, chanter, grimacer, imaginer, jouer, acter, réaliser etc …….. Je te laisse regarder cette vidéo et voir comment il bouge. Tu m’en diras des nouvelles !
https://youtu.be/KkGTwmJxHA0
Et merci