Enfin traduit en français (*), Led Zeppelin, Jimmy Page & Rock Magic, un texte passionnant rédigé par William Burroughs (**) à propos de Led Zeppelin avec une interview de son leader : Jimmy Page. Burroughs fait de très nombreuses références à des marqueurs culturels et sociaux des années 70 : le film Privilège, l’accumulateur d’orgone, Aleister Crowley, le foot, les concerts à rallonge. Et même indirectement, l’incendie du “5-7”. C’est à la demande de Crawdaddy, le premier journal de rock américain et, dès 1972, premier grand supporter de Bruce Springsteen, que l’écrivain américain réalisa cette interview de Page publiée dans le numéro daté de juin 1975 du magazine.
Quand on m’a demandé la première fois d’écrire un article sur le groupe Led Zeppelin après que j’eus assisté à un concert et discuté avec Jimmy Page, je n’étais pas du tout sûr que je serais capable de le faire, n’ayant pas suffisamment de connaissances dans le domaine musical pour oser émettre la moindre critique ni même le moindre jugement concernant la musique. J’ai alors tout bonnement décidé d’aller au concert, de parler avec Jimmy Page et de laisser l’article prendre forme tout seul. Si on laisse se présenter une somme d’informations sans avoir d’idées préconçues, alors un point de vue va de lui-même surgir de ces informations.
C’est d’abord le public qui m’a impressionné tandis que nous suivions le courant d’un cordon de sécurité à un autre – une rivière de jeunes gens qui, bizarrement, semblaient ne faire qu’un seul corps : celui d’un gamin de classe moyenne bien sage et bien propre sur lui. Les vigiles paraissaient calmes et bien formés, ils repoussaient les resquilleurs vers la sortie sans histoires. On nous a acheminés en douceur vers nos sièges du 13e rang. Au cours d’un dîner décontracté avant le concert, un des membre de Crawdaddy avait dit qu’il pressentait que quelque chose de grave pourrait se produire à ce concert. Je lui avais fait remarquer que ça peut toujours arriver quand on met autant de gens ensemble – tout comme aux corridas quand on achète un chapeau de paille pour se protéger des bouteilles ou d’autres projectiles. J’étais en train de repousser ce danger possible aux confins d’une ville à la frontière mexicaine où le matador s’en tirait vivant de peu et où quelques spectateurs étaient tués. On appelle ça “dégager le terrain”.
Donc, nous nous sommes assis. J’ai refusé les bouchons d’oreille. Je suis habitué aux tambours bruyants et aux hautbois de la musique marocaine, qui a toujours sur moi, si elle est bien jouée, un effet grisant et stimulant. Dès que le spectacle a commencé, j’ai ressenti cette ivresse musicale, qui était d’autant plus agréable qu’elle était facile à contrôler et je sus dès lors que rien de mauvais ne pourrait arriver. L’ambiance était bonne et sympa – mais quand même très chargée. Il y avait un échange d’énergie évident entre les artistes et le public qui n’était jamais frénétique ni déjanté. Les effets spéciaux étaient bien maîtrisés et pas exagérés.
Il vaut mieux peu que trop d’effets spéciaux. Je vois encore les rayons laser traverser la brume de la neige carbonique, déclenchant les applaudissements admiratifs du public. Le morceau de Jimmy Page avec les cordes cassées de sa guitare fait forte impression, de même que le solo de batterie de John Bonham et les chansons interprétées avec une vitalité sans faille par Robert Plant. Les artistes donnaient le meilleur d’eux-mêmes et c’était très bon. Le dernier morceau, Stairway to Heaven, quand le public a allumé des allumettes et que des étincelles ont été projetées un peu partout, a été joué pour un public sage et joyeux, dans une ambiance de fête de Noël au lycée. Pour tout dire, un bon spectacle ; ni faible ni insipide. Quitter la salle de concert fut comme descendre d’un avion à réaction.
Après le concert, j’ai résumé mes impressions dans quelques notes pour m’en servir comme base pour ma conversation avec Jimmy Page.
“L’ingrédient essentiel pour tout groupe de rock réussi est l’énergie – la capacité de sortir l’énergie, de recevoir l’énergie du public et de la renvoyer au public. Un concert de rock, c’est en fait un rite impliquant l’évocation et la transmutation d’énergie. On peut comparer les rock stars à des prêtres, thème qui a été traité dans Privilège, le film de Peter Watkins. Dans ce film, une rock star est manipulée par des forces réactionnaires pour établir une religion d’État. Ce scénario paraît improbable. Je crois qu’un groupe de rock qui chanterait des slogans politiques laisserait son public à la porte.”
“Le spectacle de Led Zeppelin dépend en grande partie du volume, de la répétition et des percussions. Il ressemble un peu à la musique de transe que l’on trouve au Maroc, qui est magique en ce qui concerne son origine et son objet – l’évocation et le contrôle des forces spirituelles. Au Maroc, les musiciens sont aussi des magiciens. La musique Gnaoua sert à chasser les mauvais esprits. La musique de Joujouka évoque le dieu Pan, Pan dieu de la Peur, qui représente les vraies forces magiques qui éliminent les fourbes. N’oublions pas que l’origine de tous les arts, la musique, la peinture et l’écriture, est magique et évocatrice ; et cette magie est toujours utilisée pour obtenir un résultat définitif. Dans le concert de Led Zeppelin, le résultat recherché semble être la création d’énergie chez les artistes et dans le public. Pour qu’une telle magie réussisse, elle doit puiser aux sources de l’énergie magique et ça peut être dangereux.”
L’INTERVIEW
Je sentais que ces considérations pourraient constituer la base de ma conversation avec Jimmy Page, en espérant qu’elle ne prendrait pas la forme d’une interview. Il y a quelque chose qui est tout simplement fondamentalement faux pour tout ce qui concerne la forme de l’interview. Quelqu’un vous colle un micro à la figure et dit : “Monsieur Page, voudriez-vous parler de votre intérêt pour les pratiques occultes ? Diriez-vous que vous croyez en ces sortes de choses ? “ Même si la question micro-dans-la-figure est intelligente, elle a tendance à susciter une réponse micro-dans-la-figure circonspecte. Dès que Jimmy Page est entré dans mon appartement, j’ai vu que ça ne pourrait pas se passer comme ça.
Nous avons commencé à parler devant une tasse de thé et avons découvert que nous avions des amis communs : l’agent immobilier qui avait négocié pour l’achat de la maison d’Aleister Crowley au bord du Loch Ness, John Michel, l’expert des soucoupes volantes et des pyramides, Donald Camel, qui travailla sur Performance, Kenneth Anger et Mick et Chris Jagger. Le sujet de la magie arriva en lien avec Aleister Crowley et Lucifer Rising, le film de Kenneth Anger pour lequel Jimmy Page composa la bande son.
Comme le mot “magie” a tendance à susciter des idées confuses, j’aimerais dire exactement ce que j’entends par la “magie” et l’interprétation magique de la réalité ainsi nommée. À la base, la magie est supposée être l’affirmation d’une “volonté” en tant que force primitive se déplaçant dans cet univers – l’intime conviction que rien ne se produit sans que quelqu’un ou un être quelconque le veuille. Cela m’a toujours paru évident. Une chaise ne peut pas se déplacer sans que quelqu’un la déplace. De même, votre corps physique, qui est composé d’à peu près les mêmes matières, ne bouge que si vous le voulez. Traverser la pièce est une opération magique. Du point de vue de la magie, aucune mort, aucune maladie, aucun malheur, aucun accident, aucune guerre ou émeute n’est accidentel(le). Il n’y a pas d’accident dans le monde de la magie. Et la “volonté” est un autre mot pour l’énergie animée. Les rock stars jonglent avec de la matière fissile qui pourrait exploser à tout moment… “Les résultats de football viennent de la capitale, chacun doit faire semblant de s’y intéresser”, disait d’une voix traînante le dandy Commandante, en lieu sûr dans les pages de mon livre. Et une autre rock star m’a dit : “Vous, vous vous asseyez sur votre cul pour écrire – moi, je pourrais être déchiré en morceaux par mes fans, comme Orphée.”
J’ai vu que Jimmy Page était tout aussi conscient des risques encourus dans la manipulation de la matière fissile de l’inconscient de masse. J’ai donné mon sentiment sur une valence que j’avais apprise il y a des années de cela par deux reporters de Life-Time – l’un d’entre eux continue d’ailleurs à vous raconter ce genre d’histoire horrible : “Maintenant, on extirpait le vieux Burns du camion, écorché vif par la foule, et quand nous arrivâmes là-bas avec les caméras, la chose sanglante se tortillait toujours là comme un ver…” pendant que l’autre moitié de l’équipe fait des instantanés, Clic, Clic, Clic, Clic, pour mémoriser vos réactions – aussi, au dîner aux Mexican Gardens, j’ai raconté à Jimmy l’histoire de la grande émeute au stade de football de Lima, au Pérou, en 1964.
On nous introduit dans l’arène en tant que VIP, avec le même panache que celui du Triomphe de la volonté. La musique martiale – belle perspective –, la police sculpturale avec ses chiens en laisse, la foule qui déferle avec une électricité étouffante et palpable dans l’air – les nuages gris au-dessus de Lima – les gens qui regardent en l’air, mal à l’aise… la dernière fois qu’il a plu à Lima, c’était l’année du grand tremblement de terre, quand des villes entières ont été englouties par les glissements de terrain. Un flic frappe et donne des coups de pied à quelqu’un en le repoussant vers la sortie. Oh, l’heureux homme ! Les chiens émettent des grondements menaçants. Le match est tendu. À égalité jusqu’à la fin du dernier quart d’heure, et puis arrive la décision ahurissante : le goal qui aurait dû faire gagner le match au Pérou est disqualifié par l’arbitre uruguayen. Un hurlement d’orage monte de la foule et puis un énorme noir qu’on appelle La Bombe, qui a déjà provoqué auparavant trois émeutes lors de matchs de football et dont la bombe porte déjà vingt-trois marques, enjambe les rangs pour descendre dans l’arène. Une vague de fans suit La Bombe – l’arbitre uruguayen se dépêche de sortir avec l’agilité d’un rat ou d’un mauvais esprit –, la police envoie des gaz lacrymogènes et relâchent leurs chiens rugissants, rendus hystériques par la peur et la rage et affolés par les gaz lacrymogènes. C’est alors qu’on entend un bruit terrible comme des montagnes qui s’écroulent tandis que quelques gouttes de pluie se mettent à tomber. (***)
“Oui, j’ai pensé à tout ça. Nous y avons tous pensé. Ce qui est le plus important, c’est de maintenir un équilibre. Les mômes peuvent aller trop loin avec la musique. C’est notre boulot de voir qu’ils prennent du plaisir et qu’il n’y a pas de problème.”
Et vous vous souvenez du groupe de rock Storm ? Ils jouaient dans un dancing en Suisse… le feu… les issues fermées… trente-sept morts dont les artistes. Dorénavant, un artiste qui ne pense jamais au feu et à la panique, c’est qu’il ne pense à rien. La meilleure façon d’empêcher que quelque chose de mauvais arrive est de le prévoir à l’avance et on ne peut pas le prévoir si on refuse d’être conscient de cette probabilité. Les mauvaises vibrations devaient être vraiment très fortes dans ce dancing. Si les artistes avaient été réceptifs et vigilants, ils se seraient assurés que les issues n’étaient pas bloquées. (***)
Un peu plus tôt, devant deux doigts de whisky dans ma piaule de Franklin Street, j’avais parlé à Page du Commandant Bruce MacMannaway, un guérisseur et voyant qui vit en Écosse. Le commandant découvrit ses dons de guérisseur pendant la Seconde Guerre mondiale quand son régiment fut à cours de matériel médical et qu’il commença à imposer les mains… “Bon, Commandant, je crois que c’est un tissu de conneries, mais je suis prêt à essayer n’importe quoi.” Et il s’est avéré que ça a marché. Ses capacités ont été prises en haute considération par l’Amirauté qui a fait appel à lui pour localiser des sous-marins qui avaient coulé et il ne s’est pas trompé une seule fois.
J’ai assisté à un séminaire d’un groupe de méditation avec le Commandant. Ça ressemblait à la corde magique indienne. Avant la séance, le Commandant nous a dit quelque chose au sujet du pouvoir potentiel du groupe de méditation. Il l’avait vu soulever un orgue d’église à une hauteur de 1,50 mètre. Je n’avais aucune raison d’en douter puisqu’il était à l’évidence incapable de falsification. Pendant la séance, après quelques exercices préliminaires, le Commandant nous a demandé de voir une colonne de lumière au centre de la pièce, puis il nous a fait monter à travers la lumière jusqu’à un plateau où nous avons rencontré des gens très sympas : l’Escalier vers le Paradis, en fait. Ce que je veux dire, c’est que nous y étions VRAIMENT.
J’ai dit à Jimmy Page : “Bien sûr, il s’agit ici de méditation, l’initiation délibérée à un état de transe de quelques personnes entre les mains d’un vieux maître. On pourrait penser que ça a peu de chose à voir avec un concert de rock, mais la force sous-jacente est la même : l’énergie humaine et sa concentration potentielle.” Je fis remarquer que le moment où l’Escalier vers le Paradis se met à devenir quelque chose de vraiment POSSIBLE pour le public pourrait bien aussi être le moment le plus dangereux. Jimmy reconnut qu’il était lui aussi conscient du pouvoir de la concentration de masse, conscient des dangers encourus et du talent et de l’équilibre qu’il fallait pour les éviter… que c’était comme transporter un chargement de nitroglycérine.
“On a une responsabilité envers le public”, dit-il. “Nous ne voulons pas qu’il arrive quelque chose de grave à ces jeunes gens – nous ne voulons pas dégager quelque chose que nous ne pourrions pas maîtriser.” Nous avons parlé de la magie et d’Aleister Crowley. Jimmy a dit que Crawley avait été traité de sorcier noir, alors que la magie n’est ni blanche ni noire, ni bonne ni mauvaise – elle est simplement ce qu’elle est : la réalité, ce que les gens ressentent vraiment, ce qu’ils veulent et ce qu’ils sont. Je lui ai fait remarquer que ce “soit… soit” est un carcan qui a été imposé par le Christianisme quand toute la magie est devenue magie noire ; que les scientifiques ont pris le relais de l’Église et que l’homme occidental a été étouffé dans un univers sans magie, celui du “C’est comme ça“. ” On peut considérer que le rock est une tentative pour échapper à cet univers mort et sans âme et réaffirmer l’univers de la magie.
Jimmy m’a dit que la maison d’Aleister Crowley avait de très bonnes vibrations pour peu qu’on soit détendu et réceptif. À une époque, la maison a aussi été le théâtre d’une vaste escroquerie impliquant indirectement George Sanders, l’acteur de cinéma, qui a réussi à s’innocenter tout seul. Sanders s’est suicidé à Barcelone et nous nous souvenions tous deux de ses mots d’adieu au monde : “Je vous laisse dans cette charmante fosse d’aisance.”
J’ai dit à Jimmy qu’il avait de la chance de posséder cette maison avec un monstre en face de chez lui. Et le monstre du Loch Ness, alors ? Jimmy Page croit qu’il existe. Je me demandais s’il trouvait suffisamment à manger et pensais que c’était peu probable – ce n’est pas cette improbabilité qui me donne du souci, mais plutôt l’entretien des monstres. Est-ce que Aleister Crowley avait une opinion à ce sujet ? Apparemment, il ne s’est pas exprimé là-dessus.
Nous avons parlé de la musique de transe. Il avait entendu le disque de Brian Jones fait à partir des enregistrements à Joujouka. Nous avons discuté de la possibilité de synthétiser le rock et certaines formes anciennes de musique de transe qui ont été exploitées des siècles durant pour produire des effets puissants, voire hypnotiques parfois, sur le public. Une telle synthèse permettrait aux anciennes formes de rompre avec la tradition du folklore et apporterait de nouvelles techniques aux groupes de rock.
Nous avons parlé des effets spéciaux utilisés au concert. “Bien sûr“, dit-il, “les lumières, les lasers, la neige carbonique, c’est bien, mais il faut garder un équilibre. Le spectacle doit pouvoir se porter lui-même et ne pas trop reposer sur les effets spéciaux, même s’ils sont spectaculaires.” J’ai évoqué le sujet des infra-sons, ceux qui atteignent une puissance inférieure à 16 Hz, seuil de perception de l’oreille humaine, alors que les ultra-sons dépassent ce seuil. Le professeur Gavreau, en France, a exploité les infra-sons pour en faire une arme militaire. Une installation puissante aux infra-sons peut, affirmait-il, tuer tout le monde dans un rayon de 8 kilomètres, faire écrouler des murs et briser des fenêtres. L’infra-son tue en faisant entrer des vibrations à l’intérieur du corps de telle sorte que, comme l’a dit Gavreau, “vous pouvez sentir tous les organes de votre corps se frotter les uns aux autres”. On peut obtenir les plans de cet appareil auprès de l’Institut français de la propriété industrielle, et les générateurs d’infra-sons sont construits avec des matériaux bon marché. Inutile de dire qu’il y en a qui ne sont pas concernés par les applications militaires, bien qu’elles soient illimitées, mais par des possibilités plus intéressantes et plus utiles, qui vont au-delà de 8 kilomètres.
Les infra-sons font entrer des vibrations dans le corps et dans le système nerveux. Faut-il que ces vibrations fassent du mal ou soient désagréables ? Toute musique jouée à un certain volume fait entrer des vibrations dans le corps et dans le système nerveux de l’auditeur. C’est pour cela que les gens l’écoutent. Caruso, si vous vous en souvenez, pouvait casser un verre de champagne qui se trouvait de l’autre côté d’une pièce. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la capacité de l’infra-son à produire des impulsions rythmiques ; c’est-à-dire qu’il y a de la musique dans l’ultra-son. Vous ne pouvez pas l’entendre, mais vous pouvez la ressentir.
Cela a intéressé Jimmy et je lui ai donné une copie d’un article de journal sur les infra-sons. On dirait que l’amplitude la plus mortelle se situe autour de 7 Hz, et quand on la met en route, même à un faible volume, tout le monde se trouvant dans ce champ en est affecté. Tout le monde se sent anxieux, malade, déprimé et finit par s’exclamer d’une seule voix : “Je me sens MAL !” … la dernière chose que vous souhaitez à un concert de rock. Pourtant, à la limite des infra-sons, on peut peut-être trouver une amplitude qui ne présente pas de danger. Les mantras bouddhistes agissent en faisant entrer des vibrations dans le corps. Pourrait-on le faire d’une façon plus puissante, mais sans danger, en utilisant les rythmes des infra-sons qui pourraient, bien sûr, être associés à de la musique audible ? Les infra-sons pourraient peut-être apporter une nouvelle dimension au rock.
Pourrait-on développer quelque chose de comparable au système de communication par sonar des dauphins en faisant passer une sorte de sonar immédiat qui n’exige aucune traduction symbolique ? Je dis à Jimmy que j’avais discuté avec le Dr Truby, qui a travaillé avec John Lily sur les enregistrements des dauphins. Le Dr Truby est spécialisé dans la communication inter-espèces, il est subventionné par le Gouvernement – de telle sorte que lorsque nos enfants naîtront sur Venus, nous les comprendrons quand ils commenceront à parler. Je lui ai suggéré que TOUTE communication, telle que nous la connaissons, est en fait une communication inter-espèces et qu’elle est maintenue telle par la nature de la communication verbale et symbolique, laquelle doit être indirecte.
Est-ce que les dauphins ont un langage ? Qu’est-ce qu’un langage ? Je définis le langage comme un système de communication dans lequel les données sont représentées par des symboles verbaux ou écrits – symboles QUI NE SONT PAS LES OBJETS auxquels ils se réfèrent. Le mot “chaise“ n’est pas l’objet lui-même, la chaise. Donc, ce type de système de communication est toujours de seconde main et symbolique, alors qu’on PEUT imaginer une forme de communication qui serait immédiate et directe et qui réduirait la nécessité des symboles. Et la musique se rapproche certainement beaucoup plus d’une communication directe comme celle-là que le langage.
Est-ce que la communication musicale pourrait être rendue plus précise avec les infra-sons, en faisant faire ainsi à la musique tout entière un second pas en avant ? Le premier pas a été fait quand la musique est sortie des salles de danse, des auberges et des boîtes de nuit pour aller au Madison Square et au Shea Stadium. Le rock attire un public de masse au lieu d’être le domaine d’un nombre relativement peu important d’aficionados. Est-ce que le rock peut faire un autre pas en avant ou est-il une forme autolimitative confirmée par les exigences d’un public de masse ? Quelle quantité radicalement nouvelle peut être absorbée en toute sécurité ? Nous voilà revenus à la question de l’équilibre. Quelle quantité de nouveau matériel sera acceptée par un public de masse ? Est-ce que le rock peut avancer en ne laissant pas ses fans derrière ?
Nous avons parlé de l’accumulateur d’orgone de Wilhem Reich et je lui ai montré les plans pour fabriquer son appareil que la fille de Reich m’avait passés. À la base, l’appareil est très simple, il est constitué de laine d’acier ou de fer à l’intérieur et de matière organique à l’extérieur. Je pense que cette découverte a été vraiment très importante. Récemment, un scientifique de l’administration nationale de l’aéronautique et de l’espace a fait part d’une théorie sur l’activité électrique des cellule cancéreuses qui est pratiquement identique à la théorie de Reich sur le cancer mise en avant il y a vingt-cinq ans. Il ne se sent redevable d’aucune dette envers Reich. J’ai montré la boîte d’orgone que j’ai ici à Jimmy et nous étions d’accord pour dire que les accumulateurs d’orgone de forme pyramidale, en utilisant ou pas du fer magnétisé, pourraient être bien plus puissants.
Nous avons parlé du film Performance et de l’utilisation des techniques de cut-up dans ce film. La méthode de cut-up a été appliquée à l’écriture par Brion Gysin en 1959. Il disait que l’écriture avait cinquante ans de retard sur la peinture et il a appliqué la méthode de montage à l’écriture. En fait, le montage est beaucoup plus proche de la réalité perçue que la peinture figurative. Si, par exemple, vous marchiez dans Time Square et que vous mettiez ensuite sur la toile ce que vous avez vu, le résultat serait un montage… une demi-personne coupée en deux par une voiture, des reflets dans une vitrine de magasin, des morceaux de plaques de rues. Antony Balch et moi avons collaboré pour le film Cut-ups, pour lequel la pellicule a été coupée en morceaux et réarrangée au hasard. Nicholas Roeg et Donald Camel ont assisté à une projection de ce film peu de temps avant de réaliser Performance.
Les cut-ups musicaux ont été utilisés par Earl Browne et d’autres compositeurs modernes. Ce qui distingue un cut-up de ce que j’appellerais un medley monté, c’est que le cut-up est, à un moment donné, aléatoire. Par exemple, si vous faisiez un medley en prenant trente secondes d’un certain nombre de morceaux et en assemblant ces unités arbitraires – ce serait un cut-up. Souvent les cut-ups provoquent plus de significations concises que de non-sens. Voici, par exemple, une phrase, en faisant un cut-up, de cet article : “Je vois les resquilleurs applaudis chaleureusement par le 13e rang. (En réalité, un resquilleur a été dégagé du rang devant le nôtre par la sécurité ; un incident que j’avais oublié avant de voir ce cut-up.)
Au cours du dîner aux Mexican Gardens, j’ai été surpris d’apprendre que Jimmy Page n’avait jamais entendu parler de Petrillo, qui fut le premier à créer un syndicat des musiciens et qui a peut-être fait plus que quiconque pour améliorer la situation financière des musiciens en défendant les droits d’auteur. On se demande si le rock aurait pu prendre son essor sans Petrillo et le syndicat, qui ont mis les musiciens dans les pattes des gros capitaux et par là même ont attiré les agents, la publicité et le public.
La musique, comme tous les arts, est magique et d’origine rituelle. Est-ce que le rock peut revenir à ces racines rituelles et emmener ses fans avec ? Est-ce que le rock peut utiliser les anciennes formes comme celles de la musique de transe marocaine ? Il y a à l’heure actuelle chez les jeunes un grand intérêt pour l’ésotérisme et pour tous les moyens susceptibles d’étendre le champ de la conscience. Est-ce que le rock peut solliciter directement cet intérêt ? En bref, il y a un certain nombre de tendances différentes qui attendent d’être synthétisées. Est-ce que le rock peut être utilisé pour véhiculer cette synthèse ?
Les cordes cassées de la guitare, le solo de batterie de John Bonham, la vitalité de Robert Plant – quand vous arrivez à apporter ça à beaucoup de gens, c’est très bien. Mais un chapeau de paille à la porte, et tout le public allume des allumettes. Des rayons lasers géniaux bien dirigés entrent en communication en douceur avec le public. Des étincelles projetées un peu partout. Le danger dans la ville frontière mexicaine. Nous commençons à parler devant une tasse de l’inconscient de masse – touchés au vif par une photo de l’émeute au stade de football de Lima. L’arbitre uruguayen, comme une autre star de rock. Le son, comme des montagnes qui s’écroulent, des risques encourus. Il est de notre ressort de voir les problèmes et de stabiliser le centre de la salle – vous vous souvenez de l’escalier vers la Suisse ? Le feu est vraiment là. Vous pouvez le voir si vous refusez – la force sous-jacente aussi. Je veux dire que nous étions en train de jouer dans un dancing au Paradis au moment où l’escalier a été déverrouillé, rendu vraiment accessible au public,
MOT POUR MOT
WILLIAM BURROUGHS. J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé le concert. Je trouve qu’il a vraiment beaucoup de choses en commun avec la musique de transe marocaine.
JIMMY PAGE. Oui, oui.
W.B. Je me demande si vous l’avez délibérément utilisée…
J.P. Eh bien, oui. Il y en a un peu sur ce morceau à part, Kashmir – il y a une basse dessus – même si aucun d’entre nous n’est allé au Cachemire. C’est juste que nous nous sommes tous sentis concernés par ce genre de musique. Je me suis beaucoup investi dans la musique ethnique du monde entier.
W.B. Êtes-vous allé au Maroc ?
J.P. Non, et je suis bien triste de l’avouer. Vous savez, je ne suis allé qu’en Inde et à Bangkok et dans des coins du Sud-Est.
W.B. Eh bien moi, je ne suis jamais allé à l’est d’Athènes.
J.P. C’est parce qu’à l’époque où tout le monde passait son temps à se balader ici ou là, au Maroc ou ailleurs, ou partait en voyage à Istambul, moi, pendant ce temps-là, j’étais aux beaux-arts et j’ai fini par me diriger directement vers la musique. J’ai donc vraiment loupé toutes ces sortes de voyages. Mais je connais des musiciens qui sont partis là-bas et qui sont allés jouer avec des Arabes.
W.B. Eh bien, ils ne conçoivent la musique qu’en termes de magie.
J.P. Oui.
W.B. Et leur musique est complètement utilisée à des fins magiques. Par exemple, la musique Gnaoua sert à chasser les mauvais esprits et la musique Joujouka invoque le dieu Pan. Les musiciens sont tous des magiciens, et ils en sont parfaitement conscients.
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William Burroughs. J’étais en train de penser à la concentration d’énergie de masse que vous avez dans un concert pop et que si celle-ci était, disons, acheminée d’une façon magique… un escalier vers le Paradis… cela pourrait devenir une réalité.
Jimmy Page. Oui, je sais. On est si conscient des énergies que vous allez chercher et que vous pourriez si facilement… Ce que je veux dire, par exemple, c’est que l’autre soir nous avons joué au Philadelphia Spectrum, qui est vraiment un trou noir comme salle de concert… La sécurité là-bas est la plus abominable des États-Unis. J’ai vu arriver cet incident et j’en étais physiquement malade. En fait, si je n’avais pas été en train de jouer sur la guitare avec laquelle je jouais, elle serait partie par-dessus de la tête de quelqu’un. C’était une guitare à double manche, laquelle est irremplaçable, je vous assure, à moins d’attendre neuf mois, le temps qu’ils en fabriquent une chez Gibson.
Ce qui s’est passé, c’est que quelqu’un est arrivé devant la scène pour prendre une photo ou autre chose et évidemment quelqu’un a dit : “Dégage !“ Et il n’a pas voulu partir. Alors un type a enjambé la barrière, et puis un autre, et encore un autre, et encore un autre, et ils se sont tous jetés – on pouvait voir les poings voler – sur cette unique personne toute seule. Et puis, ils l’ont tiré par les cheveux et lui ont donné des coups de pied. J’étais complètement écœuré. Maintenant, ce que je veux dire, c’est ça… Nos foules, les gens qui viennent pour nous voir, sont très disciplinés. Ce n’est pas du tout du style d’Alice Cooper, où, en fait, on ESSAIE de les mettre dans un état où ils sont obligés d’aller, comme celui-là, pour qu’on puisse en parler, de celui-ci, de celui-là ou d’un autre. Et un mauvais mot prononcé à ce moment-là aurait pu tout simplement déclencher tout ça.
W.B. Oui, il faut maintenir une sorte d’équilibre dans ces cas-là.
J.P. Ouais, c’est ça.
W.B. Le public s’est bien comporté l’autre soir.
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W.B. Est-ce que vous avez utilisé les lasers dans tous les concerts ?
J.P. Ici, oui.
W.B. Très efficaces !
J.P. Je pense que nous devrions en avoir plus, non ? Trente, environ ! Savez-vous qu’ils ont fait rebondir celui-ci sur la Lune ? Mais il avait été condensé… C’est vraiment celui qu’ils ont utilisé pour la Lune. Ça m’a vraiment impressionné.
W.B. Ce n’est pas le genre de technique qui peut faire des dégâts…
J.P. Heu, si vous le regardez en face, si !
W.B. Oui, mais je veux dire que ça ne fait pas un trou dans…
J.P. Non, il a été bien orienté. J’attends le jour où on pourra avoir des hologrammes… avoir les trois dimensions. L’autre chose que je voulais faire, c’était le générateur Van de Graff. On les voit souvent dans les vieux films d’horreur…
W.B. Oh, oui ! Frankenstein et tout ça.
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J.P. Quand on est venus par ici la première fois… quand la troupe était chaude et tout ça… si on restait dans le pays plus de six mois, on était éligible, ils vous y auraient traîné directement.
W.B. Je l’ignorais.
J.P. Si !
W.B. Oh, je crois qu’il fallait être citoyen américain.
J.P. Non, non, non. Nous avons presque abusé de l’hospitalité de nos hôtes. J’étais en pleine production et je devais travailler dans les studios ici, et, les jours passant, on est arrivé à quelques jours de la période de six mois… Pratiquement ric-rac. Et il ne me restait plus que deux jours et deux jours de travail sur cet album.
W.B. Ont-ils été corrects là-bas avec les papiers ?
J.P. Bah, pas spécialement ! Je veux dire que ça aurait évidemment pris du temps, mais quelqu’un aurait été là. Vous savez, ils gardent un œil sur les gens.
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W.B. Avez-vous entendu parler de ce qu’on appelle les infra-sons ?
J.P. Heu, allez-y !
W.B. Eh bien, les infra-sons sont les sons qui se situent sous le seuil d’audition. Et ils ont été exploités en France par quelqu’un qui s’appelle le Professeur Gavreau pour être utilisés comme arme militaire. Il avait une installation à ultra-sons qu’il pouvait mettre en marche et qui pouvait tuer à une distance de 8 kilomètres. Elle pouvait aussi faire écrouler des murs et briser des fenêtres. Mais elle tuait en faisant entrer des vibrations dans le corps. Bon, ce que je me demandais, c’était si la musique rythmique à une certaine limite de l’infra-son pourrait être utilisée pour produire des rythmes dans le public – parce que, bien sûr, toute musique, à un certain volume, produira ces vibrations. C’est en partie de cette façon que l’effet est produit.
J.P. Hum !
W.B. C’est apparemment… Ce n’est pas compliqué à construire ces trucs à infra-sons.
J.P. J’ai entendu parler de ça, mais pas avec des explications aussi détaillées, en fait. J’ai entendu dire que certaines fréquences pouvaient vous rendre malade.
W.B. Oui, ça peut être fatal. Ce n’est pas ce que vous recherchez. Mais on pourrait les utiliser pour produire des vibrations.
J.P. Ha ! Ha ! Une machine à rayons mortels ! Bien sûr, quand la radio a fait son apparition, ils faisaient des manifestations devant toutes les stations de radio. Ne disaient-ils pas : “Nous ne voulons pas de ces rayons toxiques” ? (Rires.) … Bon, donc… certaines notes peuvent briser des verres. Je veux dire que les chanteurs d’opéra peuvent briser des verres avec le son de leur voix ; c’est vrai ?
W.B. C’était un des trucs de Caruso.
J.P. Mais c’est vrai ?
W.B. Bien sûr !
J.P. Je n’ai jamais vu ça.
W.B. Moi non plus, mais je sais qu’on peut le faire.
J.P. Je veux des notes au laser, c’est ça que je recherche. Trancher dans le vif.
W.B. Apparemment, on peut fabriquer ce genre de choses avec des pièces trouvées à la casse. Ce n’est pas une machine difficile à fabriquer. Et, en fait, le brevet… elle est brevetée en France et, d’après la loi française, on peut obtenir, pour une somme modique, une copie du brevet.
J.P. Bon, vous voyez, c’est difficile de savoir exactement ce qui se passe de la scène au public… Vous pouvez seulement… Je veux dire que je n’ai jamais vu le groupe jouer, c’est une évidence. Parce que j’en fais partie… Je ne peux le voir que sur le celluloïde ou l’entendre. Mais je sais ce que je vois. Et ce truc au sujet des rythmes avec le public. Je dirais que oui. Oui, absolument ! Et c’est… La musique, qui implique les riffs, de toute façon, aura un effet de musique de transe et c’est vraiment comme un mantra… D’ailleurs, on nous a attaqués pour ça.
W.B. Ce que fait le mantra, c’est qu’il fait entrer certaines vibrations dans le corps, et cette machine fait manifestement la même chose. Bien entendu, elle part… elle va trop loin. Mais je me demandais si à la limite de l’infra-son il était possible que des choses intéressantes se produisent.
J.P. Ah !
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J.P. L’année dernière, on a joué pendant plus de trois heures et, physiquement, c’était vraiment… Je veux dire qu’au bout de la dernière heure, je ne savais plus où j’étais. Je ne savais même plus où j’allais. On s’est retrouvés à New York et la seule chose à laquelle je pouvais me connecter sur scène, c’était à l’instrument. Je ne pouvais tout simplement pas… J’étais vraiment complètement assommé.
W.B. Récemment, vous avez joué pendant combien de temps ? Deux heures et demie ?
J.P. Oui, deux heures et demie. D’habitude, ça dure trois heures.
W.B. Je détesterais faire une séance de lecture pendant trois heures.
(*) Traduction faite par Anne-Marie Favereau que Bop-Pills remercie vivement.
(**) L’article de Burrough dans le texte, c’est ici
(***) Note du Professor : il semblerait que les chiffres et lieux concernant ce paragraphe soient erronés. La Tragédie de l’Estadio Nacional de Lima s’est déroulée le 24 mai 1964. Elle a fait 318 morts et 800 blessés. Quant à la catastrophe concernant le groupe français Storm, il s’agit de l’incendie du 5-7 dancing situé à Saint-Laurent-du-Pont en Isère le 1er novembre 1970. Il y eut 146 morts. Guy Debord, le théoricien situationniste, a écrit un texte à ce propos. Téléchargez-le ici.
PS : Crawdaddy sur Wikipédia.
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