Attention : cet article est la traduction française de => celui-ci.
Vous voulez parler guitares électriques de collection haut de gamme ? Alors, parlons des Gibson Les Paul Standards des années 1958 à 1960. Bien que ce modèle ait été sérieusement sous-estimé à son époque, il allait s’imposer, une demi-décennie après sa disparition, comme le tout premier instrument vraiment efficace du soliste de heavy rock. À cette époque, pourtant, le pourvoyeur de ladite révolution électrique pensait qu’il jouait du blues. Ouaip ! Avec une Les Paul, un ampli combo Marshall modèle 1962, une tête pleine de plans du Delta Blues et suffisamment de dynamisme et d’envie pour faire monter toute la sauce au plus haut niveau, Eric Clapton a créé un timbre (“tune” NdT) éternel, en 1965, alors qu’il enregistrait Blues Breakers with Eric Clapton, avec John Mayall (un disque qu’on appelle souvent “The Beano Album” à cause de la bande dessinée que Clapton est en train de lire sur la photo de couverture), et la guitare de rock n’est jamais revenue en arrière..
Je dis “guitare de rock “, même s’il s’agissait, c’est certain, d’un conglomérat de Britanniques qui essayaient d’être un groupe de blues – il y en avait à la pelle -, mais le son “blues-rock” qui en a résulté et qui a atteint sa perfection alchimique dans un studio londonien il y a 43 ans a posé les bases de l’un des sons de rock les plus recherchés de tous les temps. Clapton vénérait les maîtres du blues américain, comme la foule de musiciens anglais qui gravitaient autour de personnalités mythiques telles John Mayall et Alexis Korner. Mais, au lieu de reproduire ce qu’avaient fait Robert Johnson, Muddy Waters ou B.B. King, il cherchait à le pousser dans une autre dimension. Ce timbre, très souvent cité comme référence et documenté indéfiniment, est devenu mondialement connu chez les guitaristes ; plutôt que de tenter de le décrire d’une façon précise, je vais seulement vous demander de vous allonger, de fermer les yeux et évoquer le son de blues-rock porté par un humbucker le plus doux, le plus gras et le plus juteux qui soit. Ou mieux encore, de faire tourner Beano et de laisser les pistes comme Hideaway, All Your Love, Steppin’ Out et Key to Love parler d’elles-mêmes.
Il est difficile de dire pourquoi la première incarnation de la Les Paul Standard (connue tout simplement sous le nom de Les Paul Model en 1968 et 1959) ne réussit pas à briller dans le monde de la guitare. Partie de la Goldtop, avec les P-90, du début des années 50, pour aller jusqu’à la somptueuse beauté qui avait les finitions Sunburst, avec des humbuckers PAF et le chevalet Tune o’matic, de 1958, elle avait peut-être une apparence trop guindée pour les zazous du rock and roll, ou bien sa sonorité était trop grasse et trop chaude à une époque où l’éclat et les aigus étaient considérés comme des qualités acoustiques. Au bout du compte, je crois que rien de tout cela ne l’explique – si ce n’est encore un mystère du marketing de la guitare. Quoi qu’il en soit, les archives montrent que Gibson n’a fabriqué que 1 700 Les Paul Standards durant cette période de trois ans, avant d’en changer complètement le design en 1961 pour la guitare que nous connaissons actuellement sous le nom de la SG. Heureusement pour les single-cuts (1)méconnues autrefois, Eric Clapton mit la main sur l’une d’entre elles et décida de faire sa carrière avec elle.
De très nombreux éléments exploités pour la sonorité de son Blues Breakers participent à la magie de la Les Paul. La combinaison d’un corps en acajou massif et d’une table en érable dur donne à la guitare un son rond et chaud qui permet cependant d’obtenir une bonne coupe, de la sécheresse et de la clarté. Le diapason 24 ¾ de la Gibson contribue aussi à la tonalité légèrement plus charnue, plus dense, que le diapason 25 ½ que Fender a traditionnellement utilisé, en faisant en même temps de la Les Paul un instrument plus confortable pour les bends (une particularité à laquelle les frettes plus larges utilisées à partir de 1959 ont aussi participé). Cependant, c’est dans leurs micros que l’énorme mine d’or de ces guitares est censée se trouver. Les humbuckers (2) de l’édition originale de la Les Paul – dits “PAF” à cause de l’étiquette “Patent Applied For” (3) qu’on trouve en dessous – sont considérés comme les premiers micros à la puissance vraiment rock. En fait, d’un point de vue électronique, les PAF ne sont pas des micros très forts ; bien souvent, ils ne sont pas plus puissants que les P-90 vintage qui les ont précédés, et de nombreux micros de chaque type affichent des valeurs similaires dans une zone comprise entre 7,5 et 8,5 ohms, avec de temps à autres un décrochage au-dessus ou en dessous de cette fourchette. Mais l’ouverture sonique de ces humbuckers – la zone de vibration des cordes lue par deux bobines placées en parallèle au lieu d’une seule – fait passer des fréquences plus substantielles dans l’ampli, ce qui entraîne une distorsion plus facilement que le simple bobinage. Il en résulte un signal sortant plus gras qui peut souvent agir comme si sa résistance était plus puissante que sa résistance réelle si on la mesurait. Dans un bon PAF d’origine, un niveau impressionnant de clarté et de précision contribue à créer une combinaison tonale irrésistible.
En même temps que la redécouverte de la Les Paul, l’incursion de la toute jeune compagnie Marshall dans les amplis de guitare a vite établi les normes pour les gros sons du rock. Le modèle combo de 1962 que Clapton a choisi pour les séances de Beano était la version combo 2×12″ (4) de la tête d’ampli JTM45 de 45 watts, en général de baffles fermées 4×12″. (Notez que bien que de nombreux numéros de modèles Marshall ressemblent à ceux des années de fabrication, ils n’ont en réalité rien à voir avec ceux de l’époque où les amplis ont été distribués. Celui de 1962, par exemple, a été présenté en 1964.) En mettant la même puissance dans un combo ouvert juste muni de deux Celestion Greenbacks 12″, cela faisait vraiment hurler sérieusement les haut-parleurs quand cet ampli était poussé et Clapton a juste fait ça. À l’inverse des EL34 de Marshall qui, un peu plus tard, ont été connus pour leurs sons craquants et crunch, ces tout premiers amplis — qui s’inspiraient très largement du circuit des derniers tweed Bassman de Fender des années 50 — utilisèrent d’abord des tubes (5) de sortie 5881 (une variété plus robuste des 6L6GC) et, plus tard, les KT66 européennes, avant le passage aux EL34. Les JTM45 de Marshall ont, aussi, encore des redresseurs de tubes GZ34 plutôt que les robustes redresseurs que les Plexis pouvaient porter, ils ont donc lâché un peu plus de compression — un peu comme si on tapait fort sur une courge. Clapton tourna au maximum le volume de cet ampli de 1962, lui injecta un booster d’aigus Dallas Rangemaster pour un peu plus de piquant, recommanda à l’ingénieur de placer le micro au fin fond de la salle et il est allé le chercher. Du pur nectar.
Comme pour beaucoup de grands maîtres du son, le matériel de Clapton n’est pas resté stable très longtemps, tout en continuant à être du Clapton dans tout ce qu’il jouait. Sa Les Paul (6) lui a été volée durant l’été 1966 pendant les répétitions de la première tournée des Cream (elle n’est jamais réapparue). Par la suite, dans ce groupe génial, il utilisa une Gibson SG et une ES-335 avec un ensemble de stacks Marshall. Si vous cherchez à attraper un peu de ce son Beano, n’importe quel bon modèle Les Paul Gibson de ces dernières année équipé de micros en alnico (7) de faible puissance (c’est-à-dire plus précis que les rééditions des PAF), comme les 57 Classics ou les BurstBuckers, constitue un excellent point de départ. Rares sont ceux qui peuvent s’offrir un Marshall Blues Breaker combo original (mais ils sont quand même plus nombreux que ceux qui peuvent s’offrir une Les Paul originale des années 1958 à 1960), néanmoins on peut trouver de bonnes rééditions ou même réussir à tirer des sons blues-rock “claptoniens” bien riches avec n’importe quel ampli de 50W muni de lampes 6L6 et une paire de haut-parleurs 12” vintage s’ils sont entre de bonnes mains. Vous pouvez même mettre la gomme avec un Gibson GA-42RVT câblé à la main et obtenir vous-même quelque chose d’équivalent. Maintenant, tout ce qu’il vous reste à faire, c’est de vous plonger dans une étude sérieuse des premiers maîtres du blues, de vous enfermer dans une pièce pendant des jours, des mois, voire des années, ingérer un petit peu d’ADN de Slowhand et de choper ce son de blues-rock bien doux et gras.
Est-ce vraiment si difficile ?
Notes de l’éditeur :
(1) Single cut : simple échancrure. Les Gibson Les Paul sont bien souvent des guitares singles cut, bien qu’il en existe des double cut. Ces dernières trouveront un ambassadeur de choix en la personne de Johnny Thunders.
(2) Humbucker : deux micros de guitares single coil (simple bobinage) sont couplés ensemble, mais en opposition de phase magnétique et électrique. Le signal émit par le guitariste est donc plus fort mais évite aussi la plupart des bourdonnements (en anglais hum) propres aux single coil.
(3) P.A.F. : acronyme de Patent Applied For qui signifie en attente de brevet.
(4) 2×12″ : ces chiffres désignent tout simplement les hauts-parleurs et leurs diamètres. Donc dans ce cas, 2 hauts-parleurs de 12 pouces chacun.
(5) Tube : en anglais ce mot désigne les lampes utilisées dans les amplis ou les radios “à lampes” de l’époque. Le transistor commençait à envahir le monde et les lampes seront sauvées par les guitaristes électriques lesquels emploient dans 99,9999% des cas des amplis à lampes pour la chaleur du son qui s’en dégage. Le seul ampli à transistor qui trouvera grâce aux ouïes de certains, c’est le fameux Roland Jazz Chorus 120 utilisé, entre autres, par B.B.King et Albert King.
(6) Cette guitare mythique fera l’objet d’une réédition réalisée par le Custom Shop de Gibson. Voir ICI et LA
(7) Alnico : acronyme de l’ alliage “ALuminium NIckel CObalt” utilisé par Gibson pour ses humbuckers.
Remerciements : à Anne-Marie Favereau.
Si je puis me permettre Prézidan, la fameuse guitare qui valut à Clapped-Out son fameux son sur l’album de Mayall, d’après mes sources, elle lui fut dérobée non pas du temps des premières répétitions de Cream, mais un peu auparavant, quand il était allé s’éclater en Grèce avec un groupe dénommé The Glands, alors qu’il prenait un temps de congés de la discipline martiale du père Mayall. Ce qui ne change pas grand-chose, du reste. Bravo et merci pour ton article brillant, hats off Prézidan.