Une interviouve intéressante est parue récemment (fin février) sur le site AudioFanzine.
L’interviouvé c’est Jeff Slingluff, grand sorcier du son chez Line 6.
L’interviouveur c’est Jacques Carbonnneau le red’ en chef du site.
Quel est votre rôle au sein de Line 6 et comment êtes-vous arrivé dans cette société ?
Je suis le sound designer en chef chez Line 6 depuis 10 ans maintenant. Auparavant, je travaillais chez Alesis qui avait un partenaire du nom de Fast Forward Designs, lequel est devenu par la suite Line 6. Ils m’ont embauché car j’avais une bonne expérience de l’enregistrement en tant que guitariste et ingénieur du son. De plus, je communique facilement avec les développeurs de logiciels. Au début, j’avais des outils très simples et je faisais mes réglages à l’oreille. Après quelque temps j’ai réussi à obtenir de vrais outils que nous utilisons aujourd’hui pour créer des modèles d’amplis et d’effets.
Comment choisissez-vous les modèles d’amplis et d’effets que vous allez modéliser?
Bien choisir les amplis que l’on va modéliser est une des choses les plus importantes. Car si l’original est mauvais, la modélisation le sera aussi! Le but est de trouver des amplis représentatifs, ce qui n’est pas forcément évident chez Fender par exemple : un Deluxe de juillet 64 ne sonne pas pareil qu’un autre pourtant construit le même mois ! On essaie donc en général une dizaine d’amplis identiques et on prend le plus représentatif.
Quel est le point de départ pour modéliser un ampli ?
On commence par écouter l’ampli et rechercher ce qu’il a d’unique. Après on sort les oscilloscopes et compagnie. On mesure d’un point A à un point B, etc. On fait ensuite des écoutes A/B en aveugle pour vérifier que tout est bon. Une fois que 50 % des gens choisissent la modélisation, c’est gagné. Si moins de 50% des gens choisissent la simulation, c’est qu’elle n’est pas assez fidèle. Et c’est pareil si plus de gens choisissent la modélisation : c’est qu’elle n’est pas assez fidèle à l’originale, même si elle est “meilleure”…
Le son d’une guitare est très important lorsque vous jouez avec un ampli. Comment fait-on la différence entre le son de la guitare et le son de l’ampli?
Un ampli guitare c’est deux choses : l’altération du signal injecté d’abord (transitoires, clipping, réponse fréquentielle et phase) et l’amplification du signal à un niveau plus élevé ensuite. Notre procédé essaie de sortir le signal de la guitare de l’équation afin qu’au final la modélisation agisse de la même manière que l’ampli original.
Comment créez-vous de nouvelles modélisations ? Avez-vous un logiciel spécial ou utilisez-vous des outils de développement plus traditionnels comme Visual Studio ?
Nous avons un système de développement qui consiste à reproduire un prototype de l’ampli (haut-parleur, ampli, boite et DSP). Ensuite nous injectons les paramètres et les coefficients via un logiciel spécifique. Je peux ainsi tester et écouter en temps réel.
Grâce à la qualité des sons qu’ils produisent, les produits Line 6 sont désormais des incontournables qu’on retrouve dans chaque studio ou home studio. D’aucuns leur reprochent pourtant aux sons émulés de manquer de dynamique, comme si le son en sortie avait déjà été compressé ou produit : comment expliquez-vous cela ? Y a t’il un compresseur ou un limiteur caché sur le trajet du signal ?
Une des choses importantes à savoir à propos des amplis à tubes, c’est que la façon dont ils emmagasinent et délivrent de la puissance via les condensateurs de filtrage combinés aux grandes variations de tension permises, se traduit par une puissance énorme sur l’attaque de la note. Ainsi, si vous prenez un ampli Solid State de 100 watts et un ampli de 100 watts à tube et que vous leur injectez un sinus à 200 Hertz, ils vont tous les deux délivrer le même volume en sortie. Mais si vous leur soumettez un signal de type pulse et que vous regardez ce que vous obtenez en sortie, l’ampli à tube atteindra un niveau bien plus considérable. Bien que cela soit trop court pour être audible, j’ai mesuré une fois qu’un ampli à tube pouvait délivrer une puissance de 1800 watts sur une attaque. Dans une échelle que nous pouvons entendre, ce serait probablement plus de 600 watts sur l’attaque. C’est à cause de cet aspect propre aux tubes que nous avons créé la ligne Spider Valve.
Le Spider Valve intègre justement des tubes qui sont habituellement émulés par les algorithmes de Line 6 : avez-vous dû réécrire ces derniers pour laisser les vrais tubes faire leur travail dans le son obtenu ?
Le trajet du signal dans le Spider Valve est le suivant : Analogique > Numérique – Logiciel – Numérique > Analogique 12AX7 Preamp – 12AX7 inverseur de phase – Ampli de puissance à tubes et transformateur. Alors oui, il existe bien un préamp à lampe en amont de l’ampli de puissance mais il est placé après la modélisation. Le tube travail ainsi et produit une légère saturation et toutes les modélisations ont bien sûr été revues pour en tirer parti.
Line 6 a aussi modélisé des guitares et des basses avec la série Variax : quelle est la différence entre la modélisation d’un instrument et celle d’un ampli ou d’un effet ?
Il y a des choses dans nos procédés de modélisation qui sont universelles. Par exemple, si la source fait une chose, nous allons essayer de la reproduire, comme c’est le cas sur la modulation en anneau à 60 Hz d’une alimentation d’amplis à lampe (50 Hz pour les amplis européens). Certains diront que ce n’est pas quelque chose que les concepteurs du produit voulaient à l’origine, et je répondrais qu’il est difficile de savoir ce qui a rendu un ampli populaire et apprécié. Pour la guitare, la différence vient aussi de l’équipement utilisé pour le test : je n’ai pas à frapper un ampli à tube avec un ‘frequency hammer’, mais je dois le faire pour une Antonio Torrez de 1840. Et modéliser des micros guitare est fait en parallèle avec la modélisation du corps contrairement à la modélisation d’amplis où vous ne savez pas si tout fonctionne bien tant que vous n’avez pas reliés entre eux tous les éléments modélisés.
Depuis quelques années, nous avons vu débarquer de nombreuses émulations logicielles ou matérielles reposant sur la convolution. Que pensez-vous de cette technologie ?
La convolution a sa place et peut être extrêmement efficace. En fait, nous l’utilisons dans le contexte de nos émulations de HP. Là où ça devient difficile en revanche, c’est pour gérer les interactions entres les différentes sections d’un ampli à lampe modélisé. Et tout particulièrement dans la façon dont un ampli/baffle réagit dynamiquement en fonction de l’état du HP.
Les séquenceurs ont remplacé les magnétophones multipistes, les instruments virtuels prennent parfois la place des instruments réels, et les modélisations tendent à remplacer les bonnes vieilles machines : c’est l’une des grandes évolutions qu’ont connu l’audio et la musique au cours de ces dernières années. Quelle sera la prochaine étape selon vous ?
Je pense qu’évidement la MAO va continuer à évoluer durant les prochaines années. Et je pense que de plus en plus d’efforts seront faits pour capturer les plus fameux matériels conçus jusqu’alors. Ce que je souhaite personnellement, c’est que cesse la course au son le plus propre et le plus stérile. Ce que nous avons fait pour un tas de bons enregistrements au cours des dernières années n’était pas d’offrir un son clean et pur mais, au contraire, d’amener toutes les petites choses qui le salissent avec musicalité. De fait, je ne veux plus lire : “notre préampli micro ou convertisseur A/D sonne plus propre que n’importe lequel de nos concurrents”. Ce que je veux plutôt, c’est qu’on me donne juste du son et du caractère. C’est d’ailleurs à ça que je passe mes journées : chercher le son et le caractère. Et je ne suis pas prêt d’arrêter…
Reproduit avec l’aimable autorisation de http://fr.audiofanzine.com/
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